Le roi Kendrick Lamar se produisait ce mardi au Sportpaleis d’Anvers. Ce fut décevant.
C’était lors des Grammy Awards 2016. Ce jour-là, Kendrick Lamar mettait littéralement le feu sur scène devant un parterre de VIP’s un peu moins crispé que d’habitude. Entamant un medley de ses chansons, il se présentait en bleu de prisonnier, attaché à ses co-détenus positionnés en une ligne raide avant de briser les chaînes et libérer les corps dans une chorégraphie africaniste autour d’un brasero. Une claque audiovisuelle, entre showbiz et message politique, rapidement qualifiée de « meilleure performance télévisée live de l’histoire ».
Apparemment, le bonhomme ne semble pas faire un aussi grand cas de ses concerts que de ses passages télé. C’est en tout cas ce qui ressort de son passage au Sportpaleis d’Anvers. Sûr, il y avait du show, des flammes et des pétards, des visuels et du gros son. Mais au service de quoi ? Au service d’un bon gros divertissement vide de sens. Au service de sa personne, aussi, un peu. Ou plutôt de sa marque. Pour un type considéré comme le Bob Dylan de sa génération, qui parvient à représenter toute une communauté, à exprimer dans ses paroles et ses prestations ses luttes qui sont parmi les questions sociales les plus importantes de l’époque, on conviendra que c’est tout de même un peu court.
En même temps, c’est de notre faute. Qu’est-ce qu’on espérait ? Trop. Sans doute. Mais on aurait tout de même aimé un peu plus qu’une soirée jukebox-karaoké, si ce n’était un egotrip façon business as usual. Le fait étant que Kendrick Lamar n’a pas, en tournée, l’ambition de ses prestations télé et encore moins celle de ses albums.
Notre homme se présente seul sur scène. Pourtant, un (semblant de) groupe l’accompagne, planqué dans la fosse, loin des regards curieux, au service du patron. Les trois-quarts de ce qu’on entend est sur bande, ceci-dit, et les voix sont doublées. C’est utile quand on laisse le soin au public de dérouler un couplet sur trois. Bon, on ne va pas non plus ronchonner tout le long, c’est du hip-hop, ça se passe comme ça, et c’est un autre débat – mais c’est un débat qu’on pourrait avoir le droit d’ouvrir aussi, à un moment (ces gens vénèrent quand même Coltrane, George Clinton ou Prince, non?).
Quoi qu’il en soit, le Kendrick, habillé façon moine shaolin hipster, lâche le flow en commençant par « DNA » et « ELEMENT », les titres qui ouvrent son dernier album DAMN. Derrière lui, des images l’accompagnent. Parfois des flammes ou un danseur qui débarque pour un tour de sabre. Le thème de la soirée étant « Kung Fu Kenny », qui rapplique régulièrement lors de petits interludes vidéos.
Si, niveau setlist, l’album DAMN. se taille la part du lion, les meilleurs moments du « concert » seront néanmoins les retours vers Good Kid, m.A.A.d City via quatre titres (« Swimming Pools », « Backseat Freestyle », « Bitch Don’t Kill My Vibe » et « m.A.A.d City »). Le grand-oeuvre To Pimp A Butterfly sera, quant à lui, sous-utilisé avec seulement deux extraits, dont l’hymne officieux du mouvement #BlackLivesMatter « Alright » envoyé juste avant de terminer sur le tube « HUMBLE », repris par toute la salle a capella avant le lâcher de beat. Une setlist logique, en somme.
Et voilà peut-être ce qui a le plus manqué à ce gros show calibré comme un film de superhéros : du surprenant. Quelque chose qui fasse sentir qu’on assistait à un concert live, vivant, organique, plutôt qu’à une énorme playlist VIP. Comme si un sbire avait appuyé sur le bouton « on » à 21h30 pour remettre le tout en mode « off » deux heures plus tard. Et entre les deux, du gros son, des lumières flash, mais rien qui ne perdure à l’esprit. Une fois les lumières allumées, tout fut oublié.
Cette image, pour terminer. Au milieu du set, notre homme est venu se positionner sur une scène élevée au centre la salle, surplombant son public tel une figure christique, un prêcheur, un tribun illuminé d’une lumière sainte. Il dira avant de se retirer : « Ce n’est pas parce que je suis sur scène que je vaux mieux que vous ». De bien sages paroles. Mais le show offert nous laissa penser tout le contraire.
DIDIER ZACHARIE
(aucun photographe n’était convié à la fête…)
AFP/DZ
SETLIST: INTRO Kung Fu Kenny/ DNA/ ELEMENT/ YAH intro/ King Kunta/ untitled 07/ Goosebumps/ Collar Greens/ Swimming Pools (Drank)/ Backstreet Freestyle/ LOYALTY/ FEEL (instrumental)/ LUST/ Money Trees/ Interlude vidéo/ XXX/ m.A.A.d City/ PRIDE/ LOVE/ Bitch Don’t Kill My Vibe/ Interlude vidéo/ Alright/ Interlude vidéo/ HUMBLE RAPPEL: GOD