Le chanteur australien a donné plus qu’un concert, vendredi au Sportpaleis d’Anvers. Une véritable messe.
Des mains tendues à perte de vue. Des mains qui cherchent à toucher l’idole, à lui voler une goutte de sainte sueur, sans même se rendre compte que c’est elle, l’idole, qui recherche cette proximité, qui en a le plus besoin, qui s’en nourrit pour continuer à marcher. Tel un vampire, tel un Christ nu à la plaie béante qui pleure des larmes de sang, Nick Cave a besoin d’amour. Il a besoin de la dévotion de ses fans et ses fans ne demandent qu’à se donner entièrement à lui.
Ce concert au Sportpaleis d’Anvers, comme la tournée (la première qui passe par l’Europe depuis la mort tragique du fils), n’a finalement eu que peu à voir avec un concert pop-rock. Il s’est plutôt apparenté à une messe gigantesque, de tendance chrétienne et chamanique, à un échange d’amour et d’énergie entre une idole et ses fidèles, qui nous a laissé une impression trouble, celle de voir un mythe s’écrire sous nos yeux. Et donc, de quitter l’Histoire et perdre le contact avec l’artiste en tant que tel, avec le réel.
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En quarante ans d’une carrière exemplaire (joliment compilée en début d’année sur le best of Lovely Creatures), Nick Cave a vécu plusieurs vies : punk monstrueux au début des années 80, crooner en pleine rédemption, pasteur autoritaire,… Il apparaît aujourd’hui sous une nouvelle stature. L’album Push The Sky Away (2014) et la tragédie qui a suivi l’ayant placé au sommet de l’échiquier pop-rock, et ancré plus loin dans le coeur de ses fans. Il est désormais installé à la place des géants, à la droite de Leonard Cohen et à la gauche de Lou Reed, mais toujours vivant.
Sur scène aussi, l’artiste a évolué. Une évolution qu’il décrivait de cette manière en avril dernier dans les Inrockuptibles : « Il s’est passé un truc très puissant entre le public et nous. Ca m’apporte vraiment beaucoup, mentalement. Pendant des années, j’ai été dans la confrontation avec le public… Je tendais un doigt autoritaire vers les spectateurs, je les nourrissais de force. Aujourd’hui, le public n’est plus exclu, les concerts ressemblent à des orgasmes collectifs. Je sens vraiment qu’il m’aide, que je l’aide à atteindre une sorte de transcendance ».
Cette évolution peut surprendre les vieux fans habitués à être bousculés, presque châtiés par le chanteur et qui, aujourd’hui, se voient caresser dans le sens du poil. On pourrait même craindre une certaine bonoïsation du pasteur australien s’il n’avait ce charisme autoritaire, quasiment chamanique, fascinant à voir. Nick Cave pourrait vous faire faire n’importe quoi. Et, quelque part, il le fait : chanter le refrain de « Into My Arms » en choeur (devenu son « Creep » à lui), frapper dans les mains pendant « The Weeping Song », fendre la foule, imposer le silence, inviter à une invasion de scène, prendre un bain public, encore, toujours, rester avec le public, avec les siens, se sentir protéger par lui, se sentir nourri, aimé, revivre.
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Du début du concert en mode intimiste avec trois extraits du dernier Skeleton Tree, dont on sait dans quel contexte il a été conçu, à l’ultime « Push The Sky Away », tout semble avoir été écrit et déroulé comme un scénario de film. Rien n’est gratuit. Tout a un sens. Les paroles, surtout. « I need you/ For the rest of my life », chante-t-il au public, cherchant toujours les mains des premiers rangs ; la dernière phrase de « The Weeping Song » en premier titre de rappel, particulièrement, sonne comme un coup de marteau glacial sur un clou qui s’enfonce toujours au plus profond dans la douleur: « Oh father tell me are you weeping ?/ Oh then I’m so sorry, father/I’d never thought I’d hurt you so much ». Et puis d’inviter le public à le rejoindre sur scène, à l’entourer pour « Stagger Lee » et sa vengeance envers le Diable…
Musicalement, le concert s’est déroulé en dent de scie, les titres du dernier album faisant redescendre la tension qui venait de monter, notamment avec la splendide séquence « Higgs Boson Blues », « From Her To Eternity », « Tupelo », « Jubilee Street » et, plus loin, « Red Right Hand » et « The Mercy Seat ». Les Bad Seeds sont restés en retrait, derrière leur meneur – même le bras droit Warren Ellis est resté très discret. Le light show visant régulièrement le public (comme si Nick Cave voulait absolument voir la foule à chaque instant…) nous empêchant aussi de nous plonger à corps perdu dans l’obscurité des chansons. Mais, comme dit plus haut, ce concert était moins un concert qu’une messe. Un échange quasi charnel entre un artiste et son public. Ou plutôt, entre un homme nu, blessé et fragile, une figure christique et son peuple qui a compris sa douleur et qui l’aide à la supporter.
DIDIER ZACHARIE
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SETLIST: Anthrocene/ Jesus Alone/ Magneto/ Higgs Boson Blues/ From Her To Eternity/ Tupelo/ Jubilee Street/ The Ship Song/ Into My Arms/ Girl In Amber/ I Need You/ Red Right Hand/ The Mercy Seat/ Distant Sky/ Skeleton Tree RAPPEL: The Weeping Song/ Stagger Lee/ Push The Sky Away